
D'UN HISTORICISME DE LA DÉRIVE AUTORITAIRE EN FRANCE
Décembre 2018
Samedi 1er décembre 2018, Avenue de Wagram, Paris. Gilets jaunes, Acte III.
Alors que Paris se transforme en guérilla ouverte contre Emmanuel Macron, l’air devient vite irrespirable. Le 17e arrondissement s’enlise dans un embrasement populaire maté à coups de gaz lacrymogènes. La toux, la suffocation, viennent vite détrôner les cris protestataires devenus impossibles, trop douloureux. Certains Gilets jaunes se réfugient à l’intérieur du Burger King, au 7, Avenue de Wagram, dans l’espoir d’y trouver un air respirable et un peu d’eau pour se nettoyer les yeux. Très vite, une rangée de CRS entoure le fast-food, entrainant une réaction anthropologique spontanée : les manifestants confinés lèvent les mains en l’air. Tels des fugitifs en évasion, pris la main dans le sac. Mais ce qui aurait pu n’être qu’une nasse préventive prend vite une toute autre tournure lorsque ces même CRS s’engouffrent dans le restaurant, condamnant les civils présents à s’assujettir au bon vouloir policier. Aléatoirement, les civils sont plaqués, tabassés, roués de coups et d’insultes. Le maintien de l’ordre se métamorphose en ultra-violence institutionnelle.
Une telle convocation du réel ouvre le débat d’une possible dérive autoritaire en France. Sommes-nous en train de céder la démocratie à l’autoritarisme, pire, à la dictature ?
Sémiologiquement, pouvoir et démocratie sont antinomiques. Un pouvoir démocratique relève de l’oxymore dès lors que, par pouvoir, on entend privilège bourgeois. En effet, la classe dominante bourgeoise a le pouvoir et compte le garder. La solution démocratique serait un sophisme en ce que le bourgeois est minoritaire ; or, par définition, la démocratie représente la voix majoritaire, causant ici la perte riche.
Partant de ce constat mais encore conscient d’une incontestable domination bourgeoise, le pouvoir use de stratagèmes pour feindre un scénario démocratique permettant le répit nécessaire aux plus hautes sphères. En cela, l’école est un outil efficace, occupant la première fonction de légitimation de l’ordre établi. Nous fabriquons des citoyens, républicains, prêts à accepter ce qu’Alain Soral définit comme l’apanage du sous-homme : le salariat et les embouteillages.
Il s’agit donc de feindre le système démocratique, mais également de le taire, quand le mensonge s’essouffle. Sieyès avouait déjà devant l’Assemblée constituante que la France serait un Etat représentatif qui ne s’apparenterait en rien à une démocratie, rassurant les bourgeois de la Chambre, pour qui le prolo – qu’ils n’avaient jamais connu – devait peu ou prou ressembler à un cul-terreux unijambiste et sale. En 1871 et devant une contestation populaire de la menterie qui risquait de devenir incoercible, Adolphe Thiers préfère massacrer le communard en se dotant, presque dans le même temps, d’un système d’institutions républicaines démocratiques. Or, les premières chambres sont absolument et radicalement bourgeoises : pas un ouvrier ne passera leurs portes. Une image romancée de la démocratie, qui nous force à un constat plus âpre. Nos institutions ont été créées pour conjurer l’effraction démocratique réelle, pour conjurer la démocratie. Aujourd’hui, cette même autorité du mensonge s’allégorise dans l’instrumentalisation des forces de l’ordre. Il ne s’agit pas là d’un phénomène nouveau, déjà remarqué sous Vichy mais également sous la Ve République ; en 1961 et 1962, lors de manifestations violentes contre l’escroquerie étatique, la police est appelée à taire la barbarie populaire, avec l’aide de l’OAS qui a pu se servir du peuple comme d’un exutoire. Monsieur Papon aux commandes, criminel de guerre avéré, aura manqué de réviser la portée du concept de violence légitime.
A ces titres et bien d’autres encore, la France est une non-démocratie.
Voyant nos amis centristes tourner au rouge – situation cocasse –, je leur concèderai que la non-démocratie n’est en rien synonyme de dictature. La nuance est là, nous sommes dans un entre-deux. Ni ange, ni démon, la France est un sujet particulier de Dieu, secoué d’incertitudes politiques. En cela, la dérive autoritaire ne serait qu’illusion.
L’histoire française n’est peut-être qu’un balancier pénible entre oppression autoritaire, bourgeoise et espoirs démocratiques. Du droit irrécusable de manifester à la répression policière, de la consultation populaire de 2005 au parjure de 2007. Tout n’est qu’équilibre hésitant et trouble. Parfois, l’équilibre semble s’effondrer – d’un côté ou de l’autre. Mais qu’il s’agisse du pouvoir ou du peuple, aucun ne le laisse entre les mains de l’adversaire trop longtemps. L’ouvrier se lève, la bourgeoisie sévit. Le pouvoir tyrannise, le peuple bataille.
La facilité des mots ne doit pas hâter la pensée. Le cycle de l’Histoire marxiste nous éclairera toujours sur la fatalité d’un modèle perpétuel. Les signes autoritaires sont là – l’ont toujours été –, aussi présents que la force populaire, jamais épuisée.
Mais il n’y a pas de dérive si l’Histoire en est pleine.