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APOSTROPHE À FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Septembre 2016

Me voilà en train de contempler la quinzaine de livres empilés sur le côté droit de mon lit. Tous ont au moins un point commun ; ils ont été achetés dans la semaine. Je remarque alors l’éclectisme fulgurant de cette pile, assez imposante pour ne plus pouvoir rentrer dans ma bibliothèque. Du pragmatisme de Pierre Bourdieu à l’analyse de Claude Lévi-Strauss, en passant par la prose de Nathalie Sarraute et les vers de Paul Eluard ; de la philosophie progressive de Gilles Deleuze à celle de son prédécesseur Friedrich Nietzche, ma petite pile de livres faisait ma fierté, si bien que des guirlandes clignotantes imaginaires l’ornait pour la faire briller de mille feux.


Il se produit alors un phénomène étrange. Malgré ces quelques grands noms qui m’offraient l’opportunité d’impressionner dans quelques soirées mondaines, mes yeux dérivèrent pour aller se poser sur l’ouvrage de Beigbeder, L’égoïste romantique, sûrement choisi et acheté avec soin pour être plus amplement reconnue par les bobos du coin. Je lis, puis ressent le sentiment étrange que cet homme-là se fout gentiment de ma gueule – oui, car lorsque que je lis un livre, je décide que l’auteur ne s’adresse pas à un public, mais à une seule personne, moi. Je lui rédige alors un petit message personnel, dans l’espoir de pouvoir lui dire un jour ces mots en tête-à-tête, ou sur un plateau télévisé.


J’écris : « Dans votre livre, vous citez les paroles de certains de vos personnages (la plupart du temps, vos amis) et l’on se rend compte que ces derniers s’expriment grossièrement, ou du moins avec une certaine négligence de langage ; du genre "Ouais m’enfin c’est quand même normal qu’y nique avec une autre nana qu’sa propre femme, t’as vu la gueule de la grognasse ? Et puis merde, Jeannot, on peut pas cracher sur un cul pareil !" Vous les vulgarisez à souhait pour, peut-être, laisser transparaître de façon limpide et un peu trop explicite leur appartenance sociale, nouveaux riches bohèmes, caricaturés par un verre de rouge dans une mimine, la clope dans l’autre, assis entre potes sur la terrasse d’un bar parisien branché, passant la soirée à vaguement philosopher sur des questions existentielles dont ils ont sûrement entendu parler dans le Canard Enchaîné du mercredi, avant de débattre du nouvel EP de Vincent Delerm et de celui-là, jeune hypster catégorisé new wave minimaliste. Vous rétorquez avec un langage BIEN français, presque soutenu – qui d’ailleurs laisse supposer une teinte de sarcasme, mais qu’importe. Alors est-ce parce que, au même titre que le narrateur – vous, saloparisé, égoïstisé –, vous pensez vos propres amis – cette fois-ci bien réels – inférieurs à vous et presque incapables de tenir un langage dit normal et une discussion sérieuse ? Etes-vous cet égoïste narcissique éponyme dont vous racontez les débauches, entouré de connards sans cervelle ? Avez-vous conscience, plus qu’un autre, de votre supposée supériorité intellectuelle sur vos amis ? Les amitiés d’Oscar Dufresne – vos amitiés, donc – n’auraient-elles finalement pas une seule définition : l’hypocrisie bourgeoise et révérencieuse ? Â»

Apostrophe à Frédéric Beigbeder: Profession

© 2022 par Charlotte Moineau

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